Comment l'affaire Idrissa Gueye a mis en lumière l'homophobie dans le sport

Le 14 mai 2022, la Ligue Professionnelle de Football (LFP) organise une opération de sensibilisation à la lutte contre l’homophobie à l’occasion de la 37ème journée de Ligue 1. Idrissa Gueye, joueur sénégalais du PSG, refuse d’y participer et ce refus provoque un tollé médiatique important.

J’arrive très tard sur cette affaire mais ce fait m’intéresse car ce problème me touche personnellement. Je suis Alexandre Jaafari et j’évolue dans le monde du handball depuis 28 ans. Je suis coach bénévole d’une équipe de Seniors Masculins, c’est à dire d’adultes hommes de plus de 18 ans et je n’ai jamais eu un homme homosexuel déclaré dans mon équipe pendant tout ce temps. Pourtant, ça fait 10 ans que je coache. J’ai environ 50 joueurs dans mon effectif avec un turnover d’une dizaine de joueurs par an.

Ça me perturbe beaucoup et j’ai voulu explorer ce problème dans ce papier. 

Dans une première partie, je vous exposerai le contexte de l’affaire Idrissa Gueye qui a planté cette interrogation dans mon cerveau. Je présenterai ensuite des notions de trois articles de psychologie sociale et de sociologie sur l’homophobie dans le milieu du sport et sur la masculinité hégémonique. Dans une troisième partie, nous aborderons les droits de la population LGBT dans le monde ainsi que sa démographie. Une fois ces parties théoriques explorées, je passerai à la narration de mon expérience vis à vis de l’homosexualité au sein du handball en tant que joueur depuis 28 ans et de coach depuis 18 ans. Enfin, je terminerai sur une partie rhétorique où j’y exposerai les arguments des défenseurs d’Idrissa Gueye et des solutions envisageables pour diminuer l’homophobie dans le sport.

I. Le contexte de l’affaire Idrissa Gueye

Comme nous l’avons dit plus tôt, Idrissa Gueye, un joueur de l’équipe du foot du PSG, a décidé de ne pas jouer au cours de la 37ème journée de la saison 2021/2022 de la Ligue 1. Chaque année, la ligue organise une journée de lutte contre l’homophobie. Idrissa Gueye n’y avait déjà pas participé en 2020/2021 mais le PSG l’avait couvert en prétextant une gastro imaginaire.

A savoir que participer à cette journée n’est pas contraignant. En 2021/2022, les joueurs portaient un maillot avec un flocage aux couleurs du drapeau LGBT. Les saisons précédentes, les capitaines portaient un brassard aux mêmes couleurs. C’était déjà trop pour certains d’entre eux qui l’avaient changé pour un brassard conventionnel à la mi-temps en prétextant que le multicolore glissait.

Pour la saison 2022/2023, la ligue 1 a également tourné un clip de sensibilisation auquel ont participé les joueurs de ligue 1 : Yannick Cahuzac, Adil Rami et Paul Bernardoni, le journaliste Olivier Rouyer (qui a fait son coming-out en 2008) et le coach Christophe Galtier.

Idrissa Gueye avait donc refusé de participer mais le PSG ne l’avait pas couvert cette fois. Ce refus de jouer est devenu une affaire. Les médias se sont emparés de l’histoire. Le milieu défensif a été averti verbalement et “convoqué” par le conseil national de l’éthique de la Fédération Française de Football (FFF) mais je n’ai pas trouvé d’indication qu’il y soit allé et j’en doute fort. L’affaire est tellement montée en mayonnaise que le président du Sénégal lui-même est intervenu pour défendre le joueur de football.

Je vous propose d’examiner cette affaire grâce à la loupe de la psychologie sociale et de la sociologie.

II. Regards  sociologiques


A. Le sport est hostile aux homosexuels

Cette idée vient du premier article, “Évaluation des attitudes des sportifs français envers les homosexuels : effets du genre et du type de sport”, que nous allons étudier ensemble et qui est paru dans la revue STAPS n°96-97 en 2012. Il a été rédigé par Anthony Mette, André Lecigne, Lucile Lafont et Greg Décamps. Les auteurs précisent dans un premier temps que le sport, notamment collectif, est hostile aux homosexuels, particulièrement envers les homosexuels hommes. Le sport contribue à propager l’idée d’une masculinité unique et dominante qui est hostile aux homosexuels. De plus, le sport va davantage accepter l’homosexualité féminine mais va l’érotiser et lui demander de ne pas trop la ramener.

A travers un faisceau d’études, les auteurs montrent que plusieurs facteurs sont fortement corrélés avec un jugement négatif des homosexuels :

  • L’autoritarisme

  • Le conservatisme politique

  • Les croyances religieuses

  • L’âge (plus les gens sont âgés, moins ils sont tolérants avec la population homosexuelle)

  • Le niveau d’études (plus les gens sont diplômés, plus ils sont tolérants avec la population homosexuelle)

  • Le genre : les femmes sont plus tolérantes que les hommes.

Bien entendu, tous ces facteurs représentent des moyennes mais ils permettent de comprendre d’où vient cette hostilité. Dans cet article, les scientifiques ont voulu tester trois hypothèses :

Hypothèse 1 : Les sportifs auront des attitudes plus négatives envers les homosexuels que les non-sportifs. Ils seront plus discriminants envers les gays, les lesbiennes et les sportifs homosexuels.

Hypothèse 2 : Les sportifs hommes auront des attitudes plus négatives envers les homosexuels que les femmes. Ils seront également plus discriminants envers les gays que les lesbiennes.

Hypothèse 3 : Les sportifs évoluant en sport collectif seront plus discriminants que ceux évoluant en sport individuel.

Pour cela, ils ont fait passer un questionnaire à 322 personnes hétérosexuelles. Il y avait une répartition égale du genre. Il y avait 242 sportifs pour seulement 80 non-sportifs.

Le questionnaire portait sur des représentations sociales. On peut définir ces dernières comme étant des connaissances de sens commun, ou plus précisément : “Elles recouvrent donc l’ensemble des croyances, des connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les individus d’un même groupe, à l’égard d’un objet social donné” (Source).

Les personnes interrogées devaient donc répondre s’ils étaient d’accord ou non avec les phrases suivantes :

  • “Les homosexuels, hommes et femmes, ne devraient pas pratiquer de sports d’équipe.”

  • “Le football n’est pas un sport pour les homosexuels.”

  • “L’idée de voir jouer un homosexuel au basket ou au rugby me paraît ridicule.”

  • “Les homosexuels ont le droit de faire du sport comme tout le monde.”

  • “Les sportifs homosexuels sont forcément moins bons que les sportifs hétérosexuels.”


Dans leurs questionnaires, les auteurs ont réalisé trois catégories d’individus :

  • Gay : Homme homosexuel non sportif

  • Lesbienne : Femme homosexuelle non sportive

  • Sportifs homosexuels tout genre confondu.

Les conclusions des réponses aux questionnaires recueillies sont les suivantes :

  • Les sportifs ont des attitudes plus négatives envers les gays que les non-sportifs. L’hypothèse 1 est donc en partie confirmée.

  • Les sportifs et les non-sportifs ont les mêmes attitudes envers les lesbiennes et les sportifs homosexuels.

  • Les hommes ont des attitudes plus négatives que les femmes envers les gays, lesbiennes et sportifs homosexuels. L’hypothèse 2 est donc confirmée.

  • Les sportives de sports collectifs ont des attitudes plus négatives que les sportives en sports individuels envers les gays. L’hypothèse 3 est confirmée pour les sportives de sports collectifs.

  • Les hommes de sports collectifs et de sport individuel ont les mêmes attitudes envers les gays. L’hypothèse 3 est invalidée dans ce cas-là.

  • Le sport apparaît être moins discriminant envers les lesbiennes qu’envers les gays.


B. 25% des étudiants d’une université STAPS pensent que l’homosexualité est une déviance, une mode ou un pêché


C’est ce que nous apprend entre autres le deuxième article étudié, "Regard sur l’hétéronormativité au sein d’une UFR STAPS : la normalisation des corps en jeu". Il est paru dans la revue STAPS n°124 en 2019 et a été rédigé par Noémie Drivet, Stéphane Champely et Cécile Ottogalli-Mazzacavallo. En introduction, il est dit que les femmes doivent faire preuve de féminité quand elles sont sportives tandis que les hommes sont sauvés du stigmate de l’homosexualité s’ils font un sport viril. On ne viendra jamais faire chier un rugbyman sur sa sexualité s’il est performant et viril sur le terrain.

L’étude est un questionnaire passé au sein d’une université STAPS et suivi par quelques entretiens semi-directifs. A noter que des étudiants ont pu refuser de participer aux questionnaires étant donné que l’étude s’intitulait “l’homophobie en STAPS”. On a potentiellement raté des dingueries.

Pour commencer, voici quelques pourcentages super intéressants :

  • 75% des étudiants STAPS trouvent que l’homosexualité est l’égale de l’hétérosexualité contre 82% chez les étudiants d’autres UFR.

  • 25% des étudiants STAPS pensent que c’est une déviance (18%), une mode (4%) ou un pêché (3%).

  • 27% des hétérosexuels ont des attitudes négatives vis-à-vis des homosexuels contre 0% des homosexuels.

  • 30% des hommes ont des attitudes négatives contre 11% des femmes.

  • 43% des étudiants n’ayant pas d’amis LGBT ont des attitudes négatives contre 18% d’étudiants ayant des amis LGBT.

  • 74% des homosexuels sont jugés libres de faire ce qu’ils veulent contre 82% pour les lesbiennes. 

En conclusion, cumuler les faits d’être un homme, sportif, hétérosexuel et n’ayant pas d’ami LGBT augmente les chances de ne pas se poser de question sur la tolérance vis-à-vis de la population homosexuelle. Par la suite, les auteurs nous livrent des chiffres super intéressants pour montrer la particularité de l’hostilité des sportifs vis-à-vis des homosexuels dans la pratique sportive.

“58% des pratiquants de sports collectifs sont gênés par le coming-out d’un coéquipier”

Il est demandé aux étudiants s’ils seraient gênés par le coming out d’un.e ami.e et par celui d’un coéquipier. Les résultats m’ont choqué : ils sont 17% à être gênés par le coming-out d’un.e ami.e mais 48% à être gênés par le coming-out d’un.e coéquipier.e.

Les hommes sont encore plus discriminants que les femmes :

  • 20% des hommes sont gênés par le coming-out d’un.e ami.e et 56% sont gênés par le coming-out d’un coéquipier.

  • 9% des femmes sont gênées par le coming d’un.e ami.e et 27% sont gênées par le coming-out d’une coéquipière.

On a également des variations selon les sports. Seulement 26% des pratiquants de musculation et de danse sont gênés par le coming-out d’un.e coéquipier.e tandis que 58% des pratiquants de sports collectifs sont gênés par le coming-out d’un.e coéquipier.e. À noter que les lesbiennes sont jugées moins écoeurantes que les hommes dans des démonstrations d’affection publique. Notamment car deux femmes qui déploient de l’affection l’une pour l’autre peuvent être excitantes pour les hommes hétérosexuels. Ils toléreront davantage l’homosexualité féminine car ils peuvent l’érotiser.

En tant que handballeur, j’ai trouvé ça affligeant. Quant on connait les beaux discours autour des valeurs positives des sports collectifs, on ne peut que rire jaune face à ces données. On veut bien partager un ballon tant que mon copain a la bonne sexualité. C’est assez pathétique. La peur est primaire et stupide : ces sportifs ont peur que leurs coéquipiers homosexuels soient attirés par eux. Ils pensent que tout homosexuel veut baiser tout le vestiaire. Ainsi, la différence de traitement entre l’ami et le coéquipier s’explique par la proximité des corps dans la pratique et dans le vestiaire. Il s’agit d’une peur idiote. 

 

La parole : outil de contrôle social

Le dernier domaine du questionnaire concerne la parole et m’a bluffé. J’ai adoré cet étude car elle montre bien que l’insulte homophobe est peut-être le fait le plus problématique de l’homophobie dans le sport. On peut ne pas être surpris par ces données mais les voir matérialisées m’a fait réaliser beaucoup de choses. 32% des étudiants entendent des insultes homophobes tous les jours et 35% en entendent de manière hebdomadaire. Cette violence verbale est principalement utilisée par des hommes envers des hommes.

Les sports de danse, gymnastique et musculation utilisent moins d’insultes homophobes que les autres sports.  De plus, les enseignant·e·s participent également à cette situation. 1 % des étudiant·e·s déclarent en avoir entendu utiliser des insultes LGBTphobes quotidiennement et 11 % moins d’une fois par mois. Rémi nous raconte que pour stimuler le groupe en musculation, l’enseignant leur a dit : « Maintenant vous vous sortez les doigts du cul, on ne va pas faire des perfs de pédé. »

Les insultes homophobes sont perçues par 55% des étudiants comme n’étant pas insultantes quand elles sont utilisées entre amis. Ce chiffre permet de comprendre que le coeur de l’homophobie est inconscient et banalisé par les insultes homophobes. Traiter de fillette ou de tapette un coéquipier revient alors à le motiver à mieux performer. Le sexisme et l’homophobie sont alors intégrés à ce moment-là car un homme hétéro ne doit pas moins bien faire qu’une femme ou qu’un homme homosexuel. On traite de gouine une femme qui est trop forte car une femme hétérosexuelle ne peut pas être sportive et performante.

Les insultes deviennent alors un outil de contrôle social. L’utilisation intensive et la banalisation se nourrissent mutuellement. Les insultes deviennent un outil de contrôle pour que les homosexuels restent à leur place, ne se montrent pas et perçoivent qu’ils sont inférieurs.

Un autre chiffre pour la route : 33% des étudiants homosexuels parlent librement de leurs rencontres contre 80% des étudiants hétérosexuels.


C. Pourquoi les homosexuels sortent du sport : la masculinité hégémonique

Pour parler de cette notion, je me suis intéressé à un dernier article, “Sport et masculinité : une revue de questions” qui a été écrit par Thierry Terret et a été publié dans la revue STAPS n°66. L’auteur explique qu’il existe des masculinités et non une masculinité mais que le sport répand une vision unique de la masculinité « forte, dure, indépendante, cruelle, polygame, misogyne et dépravée ».

Il reprend ainsi la définition de Nick Trujillo qui caractérise la masculinité hégémonique selon 5 points principaux :

  • L’expression et le contrôle de la force physique et du pouvoir

  • La réussite professionnelle

  • La hiérarchie familiale

  • L’hétérosexualité

  • La domination des hommes sur les femmes

Le sport reste neutre en termes de valeurs. Néanmoins, son aspect compétitif et physique prête le flanc aux notions de la masculinité hégémonique. La sélection sportive est dure et impitoyable. Le mythe de la méritocratie a percé la narration sportive. On pense qu’un sportif arrive au sommet car il a travaillé dur pour cela. Ainsi, de par sa nature violente, le sport de haut niveau n’accepte que la masculinité hégémonique en son sein. De par sa surmédiatisation, elle influence toutes les autres pratiques sportives, professionnelles et amateurs, et exclut les homosexuels des terrains et des vestiaires.

Une pratique sportive double de l’homme homosexuel se créé alors : une où il cache son homosexualité en évoluant dans un monde hétérosexuel. Une où il embrasse son homosexualité en évoluant uniquement dans un monde sportif homosexuel : salles de musculations parisiennes, associations sportives homosexuelles, gay games.

 

III. Après la science, une remise en contexte :Les statistiques démographiques LGBT et leurs droits dans le monde

Avant d’évoquer mon avis et mon histoire personnels par rapport à l’homosexualité dans le sport, j’aimerais présenter quelques faits sur l’homosexualité. Premièrement, j’ai regardé les statistiques démographiques sur l’orientation sexuelle sur Wikipédia. J’ai adoré lire cette page qui explique qu’il est actuellement très difficile d’estimer la taille de la population LGBT et que c’est un très gros inconvénient pour cette population.

En effet, il n’y pas à douter que la population homosexuelle peut représenter un groupe important. Ce groupe peut alors être une force politique. On le voit très bien avec les chasseurs qui influencent des décisions politiques depuis des dizaines d’années alors qu’ils sont moins d’un million en France et que leur nombre baisse d’année en année.

Pour les chiffres, j’ai fait le choix de ne prendre que la population exclusivement homosexuelle : on oscille entre 1.5% et 8% de personnes déclarées comme étant exclusivement homosexuelles selon les études. De plus, dans toutes les études, on remarque qu’il y a plus de personnes LGBT chez les populations jeunes. Enfin, ces chiffres sont plus importants quand on respecte l’anonymat des interviewés. En effet, on constate une différence pouvant aller jusqu’à 6% si le questionnaire a été fait en face à face ou en ligne. On a donc clairement un phénomène d’homosexualité refoulée ou/et non déclarée.

La population homosexuelle représente une partie importante des nôtres. Il y a eu, il y a et il y aura toujours des personnes homosexuelles. C’est un fait immuable. Pourtant, l’homosexualité est illégale dans de nombreux pays. Elle peut être condamnée à une amende au Tchad, de la prison et des coups de fouet en Malaisie et à la peine de mort au Nigéria, en Mauritanie ou encore au Qatar qui a hébergé de nombreux événements sportifs et qui le fera encore.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’homosexualité féminine est légale dans de nombreux pays condamnant l’homosexualité masculine. 

 

IV. Mon histoire personnelle par rapport à l’homosexualité dans ma pratique sportive

C’est une conversation que j’ai extrêmement souvent : “En dix ans de coaching au handball, comment n’ai-je eu qu’un homme bisexuel qui soit resté plusieurs années et aucun homme homosexuel? Alors que l’équipe féminine a eu et a encore dans ses rangs plusieurs femmes homosexuelles?”

Sachant que comme comme je l’ai dit plus tôt, j’ai 50 joueurs en moyenne dans l’effectif et qu’il y a une quinzaine d’arrivées par an. La réponse classique que je reçois à ce moment-là est “C’est impossible, t’en as eu mais tu ne l’as pas su”.

J’ai toujours douté de cette opinion automatique que les gens me sortent. Premièrement, car ce genre d’opinion automatique est souvent faillible. Deuxièmement, car nous cultivons une bonne ambiance au club, les partenaires de mes joueurs viennent souvent les voir, nous allons boire des bières…et jamais un joueur homosexuel ne s’est déclaré dans ce contexte.

J’ai trois théories pour expliciter ça : 

  1. J’en ai eu mais ils ne sont jamais déclarés.

  2. Je mets en place un climat non accueillant pour l’homosexualité, que cela soit en termes de langage parlé et d’hostilité envers les personnes homosexuelles. 

  3. Les homosexuels s’écartent de la pratique sportive de club progressivement au cours de leur vie et tout particulièrement pendant leur adolescence. De ce fait, ils ne me parviennent jamais jusqu’en senior. Tous les jeunes handballeurs homosexuels qui arrivent à Paris pour leur premier boulot ont déjà renoncé à leur pratique handballistique de club. 

 

Je pense que cette dernière théorie est la plus probable pour deux raisons :

  • La première concerne les études que je vous ai présentées plus tôt et qui montre que le langage homophobe culturellement utilisé dans les pratiques sportives, notamment dans les sports collectifs, repousse les hommes homosexuels de ces sports. Ils tiennent en -12, -14 et finissent par craquer en -16 et -18 quand la masculinité toxique s’impose de plus en plus avec la puberté aidante.

  • La deuxième raison vient de ma rencontre avec l’association Outsiders, qui s’appelait Aquahomos à l’époque, qui se présente comme une association multi-sports ouverte à toutes les orientations sexuelles. Il y a sept ans de cela, nous avions fait un tournoi avec eux et j’avais été surpris. Je découvrais tout un monde du handball qui évoluait en parallèle du parcours classique de la FFHB (Fédération Française de HandBall). Leurs niveaux avaient été hétérogènes, des grands débutants côtoyaient des mecs qui avaient un niveau prénational sans broncher. J’avais essayé alors de les recruter car ils m’avaient expliqué qu’ils s’entraînaient seulement le jeudi et qu’ils ne faisaient pas de match. Je trouvais que leur proposer deux entraînements par semaine plus un match le week-end pouvait être intéressant pour eux s’ils étaient attirés par la compétition, la volonté de jouer davantage et de s’inscrire dans un cycle de progression collective. Et c’était intéressant pour moi de choper des cadors. Tous ont décliné. L’homophobie des vestiaires hétérosexuels de handball s’était déjà imprimée au fer rouge dans leur tête.

Toutes les conversations que j’ai eu par la suite avec des hommes homosexuels et leurs fréquentations des vestiaires m’ont confirmé ce traumatisme. Chaque année, le sport collectif perd des talents car l’homme hétérosexuel a peur de l’homme homosexuel.


La peur de l’homosexuel dans le vestiaire


Le sport connaît un problème immense d’homophobie. Comme nous l’avons vu dans l’étude de Noémie Drivet et al., les jeunes d’aujourd’hui sont majoritairement peu gênés de l’homosexualité de leurs amis mais ils vont l’être beaucoup plus quand il s’agit de leurs coéquipiers à cause de la proximité des corps dans la pratique et dans le vestiaire et car ils n’ont pas été habitués à faire évoluer leurs corps avec des personnes aux orientations sexuelles différentes de la leur.

Comme David Le Breton nous l’explique dans son livre, le corps est globalement effacé dans notre société moderne. On s’efface dans l’ascenseur, dans les transports en commun pour éviter les contacts avec les autres. Le corps ne se rappelle qu’à nous pendant des épisodes de maladie et de douleur. Nous acceptons le corps de l’autre pendant ces pratiques sportives. Nous allons le toucher pendant l’activité et le voir nu dans les vestiaires.

Cette réalité est intégrée quand le partenaire est hétérosexuel mais dès qu’il existe la possibilité que le partenaire soit homosexuel, les homophobes vont ressentir une peur primaire et idiote. Ils vont vouloir rejeter le corps de l’homosexuel de leur pratique pour ne pas avoir à affronter leur rapport au corps.

Cette proximité physique leur fait littéralement péter les plombs et la peur peut alors s’inviter facilement dans leur coeur. Regardez cet extrait de jeunes footballeurs du centre de formation de Toulouse s’exprimant sur la possibilité d’un coéquipier homosexuel (Extrait de la vidéo à 13min20sec

 
 

Ils sont complètement perdus et apeurés. Ils n’ont probablement jamais parlé d’homosexualité et n’ont jamais échangé avec une personne homosexuelle et agissent par la peur la plus pure, celle de l’inconnu. Nous devons changer ça car nous ne pouvons pas tolérer qu’une partie de la population n’ait pas accès au plaisir du sport collectif. C’est même idiot d’un point de vue capitaliste car les propriétaires perdent des talents au seul titre de leur homosexualité.

Sachez que dans les dix années à venir, la lutte contre l’homophobie va progresser. Sachez que le prochain Lebron James, Messi, Karabatic, Antoine Dupont sera homosexuel dans un des sports. C’est juste statistique. Je trouve ça dingue que des clubs de football organisent des partenariats avec des clubs étrangers pour recruter des talents alors qu’ils n’auraient qu’à se baisser pour trouver des pépites qui ont le malheur de ne pas partager leur orientation sexuelle. Le prochain coup de génie des scouts sportifs viendra de ceux qui réussiront à attirer les sportifs homosexuels pour qu’ils puissent s’épanouir dans leurs pratiques sportives. Et Ô bonne nouvelle pour le capitalisme,il pourra autant exploiter ces athlètes que les hétérosexuels.

D’un point de vue plus micro, vous devez tous agir. En tant que dirigeant, vous devez agir. Dites-vous que ce qui peut vous empêcher une relégation, de faire l’ascenseur chaque année, de gagner un titre est juste une pièce manquante. En tant que joueur, si vous voulez gagner, vous devez accepter toutes les compétences. Vous vous en foutez de leur orientation sexuelle. Je parle aux plus jeunes parmi vous. Pensez-vous vraiment qu’un coéquipier, qui évolue dans une société hostile à sa sexualité, va rentrer dans un vestiaire d’une vingtaine d’hommes hétéros, vous mater avec lubricité avant de tous vous prendre un par un ?

Vous avez tout faux. D’ailleurs, posez-vous ces questions :

  1. Qu’est-ce qui vous fait présumer que vous êtes attirant?

  2. Pourquoi ce coéquipier aurait-il des pulsions sexuelles et bestiales alors que toute la société cherche à les lui réprimer ?

  3. Pourquoi voyez-vous cela en l’homme homosexuel? Est-ce à cause du comportement de l’homme hétérosexuel? Donc de votre comportement et de celui de vos amis? N’avez-vous pas peur que de vous-même ?


Sachez qu’en cette période de discrimination et d’adversité suprêmes, le sport collectif est un outil formidable de création de fraternité. Je connais aujourd’hui des frères que j’ai connus plus que la moitié de ma vie. Je connais toutes leurs vies. Je les ai aidés à déménager, j’ai bu et vomi avec eux, j’ai joué aux jeux vidéo pendant des heures avec eux, je les ai vus rencontrer l’amour de leur vie et devenir père….

Bref, c’est une source de bonheur incroyable.

Et par une peur stupide, vous voulez dénier ce droit à une personne car elle ne partage pas votre orientation sexuelle? Pire que ça, vous vous déniez à vous-même le droit de connaître une fraternité sportive avec un homme juste à cause de sa sexualité ?

Réfléchissez.

V. Quelles solutions ?

Pour finir cette vidéo, je vais partager quelques pistes de solutions que j’ai pu découvrir pendant les recherches pour cet article.

A.Fourbir ses arguments : Ouissem Belgacem

Les premières solutions viennent de Ouissem Belgacem, un ancien footballeur homosexuel, qui a été au centre de formation de Toulouse et qui a raccroché après avoir fait quelques essais aux Etats-Unis. Il a toujours vécu caché et cela l’a miné pendant toute sa carrière. Cet ancien footballeur a écrit un livre “Adieu ma honte” où il parle de son histoire. Les critiques que j’ai pu lire louent son courage mais trouvent qu’il a survolé la thématique de l’homophobie dans le sport. Dans une interview à Radio Sud, il évoque plusieurs choses.

Premièrement, il ne faut pas forcer les joueurs de Ligue 1 à porter des maillots aux couleurs LGBT. Il ne croit pas en la qualité de la stratégie qui n’est pour lui que visuelle et qui rebute les joueurs à qui on force la main. Selon lui, il faudrait faire appel au volontarisme des footballeurs qui seraient touchés par l’homophobie dans leur vie personnelle. Il y aurait ensuite un effet boule de neige où plus de footballeurs se joindraient à ce mouvement année après année.

Je suis un peu dubitatif quant à l’efficacité de cette stratégie. J’estime que les footballeurs refusant de porter le brassard de capitaine il y a quelques années, ou de porter un maillot floqué aux couleurs LGBT cette année, sont crassement homophobes. Ils agissent avec des réflexes conservateurs et bourgeois. Ils continueront à exclure les homosexuels tant qu’ils ne seront pas forcés à le faire. Tout le climat du sport collectif crée des gens profondément homophobes qui ne bougeront pas sans un tas de leviers.

D’ailleurs, de manière assez ironique. Alors que de par leurs comportements, ils refusent une liberté à une population, ils invoquent cette même liberté pour défendre leur homophobie.

B. Défense n°1 : J’ai le droit

Ce qui nous amène au premier argument des homophobes “j’ai ma liberté de ne pas soutenir une cause et de ne pas m’aligner”. J’ai noté que l’argument premier des défenseurs d’Idrissa Gueye dans cette affaire venait de la liberté de ne pas s’aligner. Ils défendent la liberté de ne pas soutenir une cause et de rester “neutres”. 

La question se pose alors : peut-on rester neutre dans la lutte contre l’homophobie? Deux points super intéressants se posent alors :

1er point : est-ce une opposition binaire ? Par essence, si vous refusez de lutter contre l’homophobie quand on vous propose un geste simple (enfiler un maillot), cela ne fait-il pas de vous automatiquement un homophobe ? Prenons un autre exemple : demain, vous êtes dans la rue et des mecs sont en train de tabasser un homosexuel, avez-vous le droit de continuer votre chemin sans tenter de lui venir à l’aide? Avez-vous le droit de revendiquer une “position de neutralité”?

Cet exercice moral fait juste référence au silence complice. En refusant une action simple de solidarité envers une minorité durement discriminée, vous êtes complice et donc homophobe. On a juste demandé à ces joueurs de porter un maillot avec des couleurs un peu différentes pour soutenir une population qui se fait racketter, emprisonner et tuer dans d’autres pays pour son orientation sexuelle. En France, ils sont discriminés et il existe encore des abrutis qui vont les traquer de manière organisée dans le Marais. Sans parler de la solitude des personnes homosexuelles dans les régions de moindre densité où ils peuvent trouver moins de fraternité et de sororité homosexuels.

2ème point : Si nous vivions la même situation avec d’autres discriminations, aurions-nous une opposition aussi vive avec ce genre d'arguments ? Par exemple, si la ligue 1 faisait une journée de lutte contre le racisme, est-ce que autant de capitaines auraient refusé de porter le brassard aux couleurs anti-racistes ? Est-ce que plus de joueurs auraient été volontaires pour participer au clip de sensibilisation ?

Spoiler : il y aurait eu beaucoup moins d’appels à la liberté d’être “neutre”.

Le deuxième argument classique des défenseurs d’Idrissa Gueye est le “lobby LGBT”.

C. Défense n°2 : Le Lobby LGBT

Beaucoup de défenseurs d’Idrissa Gueye avançaient le fait qu’ils n’étaient pas homophobes mais que les couleurs LGBT montraient que ce lobby était derrière cette opération de communication et que c’était problématique. Pour quelle raison? On ne le saura jamais. Mais c’est mal.

Bref, argument pété à balayer d’un revers de main. On enchaîne.

D. La défense n°3 : le malaise 

Cette troisième défense concerne le malaise que j’ai évoqué plus haut. Des joueurs se sentent mal dans un état de proximité corporelle avec des gens qui ont une orientation sexuelle différente de la leur. C’est le pur travail de fond car c’est un mécanisme de peur primaire.

Tous ces savoirs ne sont pas suffisants et nous amènent à l’excellente vidéo de “Mindful Thinks” intitulée “Why homophobia in sport campaigns fail”.

E. Pourquoi les campagnes de sensibilisation à la lutte contre l’homophobie échouent

L’auteur veut montrer la différence entre comportement et norme sociale. Ainsi, il explique que plein d’athlètes connus sont sympas avec les personnes homosexuelles  et vont même faire des campagnes de lutte contre l’homophobie. Pourtant, ils ont un langage homophobe dans la vie de tous les jours.

Pour cela, il reprend une étude américaine des années 30. A cette époque, la sinophobie était très répandue aux Etats-Unis. Richard Lapiere, un sociologue américain, a suivi un couple de chinois en voyage aux Etats-Unis. A sa grande surprise, le couple a été bien accueilli et n’a été refusé qu’une fois sur cent. Une fois l’étude de terrain terminée, Richard Lapiere a envoyé un formulaire aux hôtels dans lesquels il était passé et à d’autres encore pour leur demander s’ils acceptaient de recevoir des touristes chinois.

A sa deuxième surprise, tous ont répondu négativement.

La leçon est la suivante : dans un spectre large, la norme sociale était de ne pas accueillir les touristes chinois. En situation réelle et en face à face, la norme d’être accueillant avec un touriste était plus forte que celle de refuser les chinois. C’est la même chose avec l’homophobie dans le sport : le langage homophobe qui rejette les personnes homosexuelles est devenu normal alors qu’une bonne partie des gens qui l’utilisent serait sympa s’ils discutaient avec une personne homosexuelle. La théorie de l’auteur de la vidéo est donc qu’il ne faut pas expliquer aux gens que l’homophobie est mal car les joueurs créant ce climat d’homophobie ne se sentent pas homophobes. Il faut changer les normes sociales du langage homophobe. Pour cela, il faut expliquer aux gens, qu’ils font mal aux homosexuels et qu’ils les excluent, quand ils emploient un tel langage.

Il faut former et responsabiliser les coachs et les capitaines. De manière concrète, ça peut être un simple rappel à l’ordre mais ça peut très bien rentrer dans les punitions sportives des séances (pompes, squat sauté, sprints…) quand une insulte homophobe fuse ou mettre en place la fameuse boîte noire des sports collectifs qui amasse les euros dûs à un retard, une absence, un oubli matériel, la pire action du match….

VI. Conclusion

Tous les acteurs du sport doivent aujourd’hui se mobiliser pour se battre contre l’homophobie dans leur milieu. On ne peut pas nous utiliser pour la mythologie du “vivre ensemble” tout en excluant catégoriquement une partie de la population.

Sportifs, interrogez-vous sur vos pratiques, vos pensées et sur ce que vous vivez autour de vous.



Alexandre Jaafari