Pourquoi les streamers se sont mis à l’organisation de compétitions sportives

France-Espagne au foot, le Grand Prix Explorer, aux Jeux Streamers, 3vs3 contest au basket, le DTR Fight, la Shooters League…La liste des événements sportifs organisés par des streamers s’est considérablement enrichie ces dernières années.

C’est tout sauf un hasard. Dans cet article, nous allons observer ce phénomène et tenter de le décortiquer.

Un ennui précurseur

Un streamer ou une streameuse est à la base une personne qui joue aux jeux vidéo devant des spectateurs. Il est alors possible d’interagir avec le streamer ou la streameuse à l’aide d’un chat. Les années passant, la pratique évoluant, le streaming a enrichi son arsenal. Il ne s’est plus contenté de jeux vidéo, il a commencé à réagir à des produits culturels, notamment des vidéos.

Puis, les streamers et les youtubers les plus en réussite ont obtenu plus de ressources. Ces ressources leur ont donné accès à un train de vie bourgeois. Néanmoins, dans la pure tradition des entrepreneurs, rien n’est jamais assez, l’ennui arrive vite. Ils se sont alors questionnés : “Qu’est-ce qui pourrait être mon prochain objectif? Qu’est-ce qui pourrait nourrir mon égo désormais sujet à de hautes exigences ? Qu’est-ce qui ne comporterait pas le moindre risque de me compromettre au regard d’une portion de mon public?”

La réponse était là. Le sport leur tendait les bras.

Une quête de respectabilité

Les événements collectifs créés par Adrien Nougaret, alias Zerator, avaient déjà nourri les streamers. Les participants s’étaient rendus compte qu’ils pouvaient collaborer, s’amuser et gagner de la notoriété en mutualisant leurs communautés.

Malheureusement, bien que le jeu vidéo gagne en respectabilité, que son industrie ne cesse de devenir pharaonique, le jeu vidéo n’a pas encore conquis ses lettres de noblesse. Le sport, lui, est noble par essence. Il convient donc parfaitement à des néo-bourgeois qui veulent à la fois découvrir de nouvelles sensations tout en obtenant une respectabilité issue d’une pratique de la culture légitime.

Le sport était un choix attendu pour les streamers car il cochait toutes les cases nécessaires à leur nature.

Une activité apolitique

Avant d’être des sportifs ou des joueurs de jeux vidéo, les streamers sont des boutiquiers. Leur nouvelle versatilité le prouve : album de musique, projet sportif, jeux vidéo…Peu importe le produit, tant qu’il rapporte de l’argent, de la notoriété mais n’apporte pas d’ennuis.

Néanmoins, le sport est parfait pour eux car ils le conçoivent comme étant apolitique. En effet, pour la masse dépolitisée, le sport rassemble, il n’a pas ni d’odeur ni de couleur politique. De plus, le sport vient avec son kit de valeurs : la discipline, le courage, la persévérance, le respect, le goût de l’effort…Comme l’explique le chercheur Michaël Attali, le sport est un formidable produit commerçant car il se suffit à lui-même dans son marketing. Il est en apesanteur sociale. Il n’est pas traversé par la société dans laquelle il évolue. C’est pourquoi, de Coubertin à la fin du 19ème siècle à Macron au début du 21ème siècle, les adjectifs pour qualifier le sport sont identiques.

La pratique du sport amène automatiquement et magiquement des valeurs positives sans qu’on ait même besoin d’en vérifier la réalité. De plus, selon la doxa, on ne doit pas parler de politique dans le sport. Les streamers se retrouvent alors avec un produit parfait à vendre. Leur événement sportif ne leur ferme aucune population d’un camp politique car le sport est ouvert à tous.

L’événement sportif sera forcément positif et vertueux de par les valeurs que le sport propage magiquement. Si jamais un incident sexiste, raciste, homophobe ou grossophobe survient, ça ne sera jamais la responsabilité du système sportif. Le coupable sera toujours l’individu qui a commis ces discriminations. S’il s’avère que ces discriminations se répètent sur des années, sur des millions d’occurrences, ça n’est certainement pas systémique mais une simple coïncidence.

Un événement émotionnel qui se suffit à lui-même

Un autre avantage énorme de l’événement sportif est l’absence de nécessité. Comme l’explique Nicolas Oblin, l’événement sportif se suffit à lui-même. Il n’a pas de raison d’être. Il ne faut pas se questionner sur ce qu’il va nous apprendre, sur ce qu’il va coûter, ce qu’il va en rester. Il faut juste le faire.

Pour être jugé comme réussi, l’événement sportif n’a que deux cases à cocher. Tout d’abord, il doit rassembler grâce aux outils de massification que sont le stade et la télévision. Ces outils permettent d’agglutiner des dizaines de milliers de personnes sur quelques autres personnes, persuadées de leur supériorité. Deuxièmement, il doit procurer des “émotions”. Pour cela, on se repose toujours sur les mêmes éléments narratifs :

  • On supporte son équipe dans une guerre de clochers hostile.

  • L’arbitre sera toujours le méchant qui veut nous faire perdre.

  • L’équipe adverse, peuplée de gens de sa classe sociale, sera toujours malhonnête et non-méritante dans sa victoire.

Les trois critères sont réunis pour provoquer la colère pendant le match et la joie ou la tristesse à la fin du match selon le résultat de son équipe.

A la fin, qu’aura-t-on appris? On ne sait pas. Qu’aura-t-on regardé ? On ne sait pas. Mais on aura réagi au spectacle en choeur avec les autres. Cette expérience émotionnelle et collective sera jugée positive par essence.

Le revers de la médaille

Comme vous l’avez compris par mon ton sarcastique, le sport ne propage aucun des éléments positifs dont il se réclame. Par contre, il comporte des points négatifs bien réels que les streamers ont déjà goûté alors qu’ils viennent tout juste de commencer à pénétrer cette sphère.

Des blessures

Tout d’abord, le sport de haut niveau détruit le corps. Amine s’était blessé à l’épaule lors du premier France-Espagne en 2022.  Mais surtout, l’événement le plus ravageur a été le DTR Fight, un événement de boxe où 10 streamers et streameuses se sont affrontés. Le bilan corporel a été désastreux :

  • Dooms a connu ses premiers sparrings tardivement. Elle est arrivée à l’événement encore souffrante de son sparring astucieusement programmé quelques jours avant le combat.

  • Prime s’est fracturé la main en préparation.

  • LeBouseuh, adversaire de Prime, a été surclassé et a souffert d’importants hématomes au visage. La correction a été telle que des dégâts cérébraux futurs ne sont pas à écarter.

  • Djilsi s’est fracturé le nez durant la préparation.

  • Mastu a subi plusieurs tendinopathies au poignet, rendant la frappe incroyablement douloureuse. Il a dû subir des injections pour combattre malgré la douleur.

  • Byilhan a payé un fort tribut. Les tendons du chef long de ses biceps gauche et droit se sont rompus pendant sa préparation et pendant le match. Durant le combat, son épaule s’est luxée deux fois, son coach lui a remise à chaque fois, l’encourageant à continuer à se battre sur ses blessures. A la suite du combat, Byilhan expliquera qu’il devra subir deux opérations pour réinsérer les tendons. Une potentielle troisième opération est envisagée pour mettre une butée afin de stabiliser son épaule dont le cartilage est désormais morcelé.

  • Billy, aka RebeuDeter, a également entamé son capital santé. Pendant la préparation du combat, le streamer s’est fissuré le ménisque du genou et rompu le ligament croisé antérieur. Pour honorer le combat, il a repoussé l’opération et s’est donc entraîné et battu sur un genou défaillant. Il a confié à RMC qu’il sentait régulièrement son genou sortir de l’axe.

  • GregMMA s’en est également sorti à mauvais compte. Le vétéran s’est rompu le tendon du biceps long.

Ainsi sur 10 combattants, 8 en sont ressortis blessés. Une majorité de ces blessures aura des conséquences importantes sur la vie future de ces streameurs et streameuses.

Du racisme

Le 12 octobre a eu lieu le deuxième match de football des streamers entre la France et l’Espagne. Nommé “Eleven All Stars”, cet événement a été le lieu d’agissements racistes. Brawks a été victime de cris de singes alors qu’il faisait le tour du stade après avoir été remplacé.

Des spectateurs ont été également victimes de traitements racistes. Les organisateurs espagnols ne se sont pas émus plus que cela, le racisme étant une dimension fondamentale du football.

Du sexisme

Le Grand Prix Explorer 2 a eu lieu le 9 septembre 2023. La course automobile est le lieu d’un accident suite à un accrochage entre les voitures de Manon Lanza et Maxime Biaggi. Suite à cela, la jeune femme sera la victime d’une campagne démesurée de cyber-harcèlement. Elle recevra des milliers de messages d’insultes. L’organisation mettra plusieurs jours avant de communiquer à ce propos pour protéger la pilote.

En plus de cela, il est remarquable de noter que les femmes sont très peu présentes dans ces événements sportifs.

Des conclusions logiques difficiles à obtenir

Malgré l’énumération de tous ces incidents inhérents à la masculinité hégémonique qui domine le monde sportif, les streamers ont refusé d’aboutir à des conclusions logiques. Pour eux, le sport est toujours aussi merveilleux.

Ainsi, en pleine détresse émotionnelle après avoir subi des mimiques et des cris de singe, la première déclaration du streamer Brawks a été “J’adore les valeurs que prônent le sport, le racisme n’a rien à faire dans le sport”.

Il confirmait ainsi malgré lui toute la réflexion théorique de Michaël Attali. Dans la pensée dominante, le sport est pur par essence. Ses conséquences négatives ne sont jamais de son ressort, ils ne sont que des incidents dus à des mauvaises personnes.

Brawks qui surmonte le racisme? Quelle classe. LeBouseuh qui finit le combat la gueule en sang? Un vrai bonhomme.

Il est temps que les spectateurs augmentent leurs exigences quant aux événements sportifs car la révolution ne viendra pas des streamers. Ces derniers restent des hommes-sandwichs bercés par les contes de héros sportifs.

Le sport est une aubaine bien trop grande pour eux car il représente une “neutralité” qu’ils chérissent et convoitent. Cet enjeu est tellement important à leurs yeux qu’ils sont prêts à subir racisme, sexisme et dolorisme pour avoir la chance de participer à cet Eldorado.

C’est pourquoi la révolution viendra des spectateurs. Vous devez exiger du spectacle sportif sous conditions. Rien ne va dans ce spectacle actuellement offert. Il se permet à la fois d’offrir un spectacle dont le niveau peut être vu gratuitement dans un club de sa région sans se départir des affres du sport de haut niveau.

En bref, les événements sportifs actuellement proposés par les streamers ne reposent que sur leur célébrité et la dépolitisation du sport dans notre société. Enlevez ces 2 facteurs et il n’en restera que le noyau : un spectacle médiocre qui appauvrit ceux et celles qui le regardent.

Alexandre Jaafari