Que nous apprennent les films “Les Crevettes Pailletées” sur le sport et l’homosexualité ?
Écrit par Alexandre Jaafari
À l’occasion d’un verre collectif avec mon club de handball Martigua, les membres du club qui sont aussi chez Outsiders m’ont parlé de la section Water-polo de leur association. Nous avons logiquement dérivé sur les deux films des “Crevettes Pailletées”. J’ai décidé alors de rattraper mon retard sur ces deux œuvres cinématographiques. Leur visionnage m’a inspiré beaucoup de réflexions que je souhaite vous partager dans cet article. Pour vous en faciliter la lecture, je vous ai préparé un trombinoscope des personnages afin que vous puissiez vous y retrouver.
Jean, joué par Alban Lenoir
Alex, joué par David Baiot
Bertrand, joué par Pierre Samuel
Cédric, joué par Michaël Abiteboul
Joël, joué par Roland Menou
Matthias, joué par Nicolas Gob
Selim, joué par Bilal el Atreby
Vincent, joué par Félix Martinez
Xavier, joué par Geoffrey Couët
Cédric le Gallo, co-réalisateur
Maxime Govare, co-réalisateur
Avant toute chose, je pense que ce film comporte un aspect positif dans le sens où il met en image une histoire d’hommes homosexuels qui font du sport. Les modèles d’hommes homosexuels sportifs sont très rares. Les sportifs de haut niveau homosexuels font rarement leur coming-out par peur des représailles. C’est pourquoi ce genre de film manquait cruellement en France alors qu’on en retrouvait déjà dans d’autres pays tout au long des années 2000.
Néanmoins, bien que ces films m’aient diverti, bien que j’ai pleuré en les regardant, plusieurs points lourdement négatifs m’ont sauté aux yeux et je voudrais donc revenir sur plusieurs d’entre eux.
Le coaching
Le premier point que je souhaite aborder est le thème du coaching. Bien trop souvent, dans l’industrie cinématographique, il est traité par-dessus la jambe. Dans les deux opus des Crevettes Pailletées, Nicolas Gob incarne Matthias le Goff, un nageur professionnel qui est condamné à coacher une association gay de water-polo pour avoir tenu des propos homophobes en interview. Tout d’abord, je trouve ça très spécial de condamner un homme homophobe à coacher des hommes homosexuels. Je ne vois pas pourquoi ces derniers devraient se coltiner de l’homophobie dans leur cocon qu’est leur pratique sportive en association inclusive. Mais de plus, à aucun moment je n’ai ressenti l’univers de ce sport. Le vocabulaire technique et tactique spécifique au water-polo est inexistant.
Premièrement, le personnage est introduit dans une scène ultra stéréotypée qui m’a fait lever les yeux au ciel à la première seconde du film. On peut voir Matthias le Goff faire de la musculation avec un élastique devant le journal télévisé qui rediffuse les nouvelles de son acte homophobe. Après cela, Matthias va se prendre un gros shaker de protéines en poudre. Vous avez compris, nous ne sommes pas dans la subtilité.
Par la suite, tous les discours de Matthias de préparation de match et de mi-temps se basent sur de la motivation stéréotypée. A l’occasion d’un match contre une équipe de femmes lesbiennes, le coach a recours à un discours sexiste, homophobe et validiste pour motiver les joueurs.
A noter que j’ai apprécié ce moment de rencontre entre les mondes associatifs lesbiens et gays qui traduit bien quelques tensions que la réalité connaît. Par contre, j’ai trouvé ça dommage que Cédric le Gallo ne pousse pas plus loin l’exploration du monde associatif sportif LGBT. Alors que dans le cercle sportif fédéral, la performance est un facteur important, les collectifs sportifs LGBT, au contraire, jouent un rôle davantage social et communautaire. En conséquence, les membres de ces associations y adhèrent pour des raisons très diverses : pratiquer un sport dans un climat bienveillant, élargir le cercle social, que son orientation sexuelle ou son identité de genre soit accepté dans l’expression de leur pratique favorite…
En dehors de ce point, je trouve que cette pauvreté dans le traitement du sport est un grand classique du monde du cinéma qui utilise toujours ce thème comme un décor et non pas comme un objet intellectuel et social à part entière.
Une preuve majeure de cet état de fait vient des bravades des acteurs dans les interviews (1-2). Ils y assument, face caméra, de dire qu’ils n’ont rien compris au water-polo.Dans un état de relaxation que j’ai jugé assez irrespectueux, les acteurs assument leur ignorance et leur mépris pour ce sport qui leur a permis de faire un film. Le sport utilisé n’est alors qu’un moyen pour leur carrière et non pas un objet artistique à part entière.
L’âgisme
Le second point concerne l’âgisme qui est une problématique importante du monde du sport et qui est traité comme étant d’égal importance dans le monde homosexuel.
Roland Menou incarne Joël, un homosexuel plus âgé que le reste de l’équipe. Dans le premier film, ce personnage a plusieurs facettes. L’une d’entre elles consiste à aborder la peur de vieillir chez certains hommes homosexuels. Alors qu’ils sont arrivés aux Gay Games, Joël se confie à Fred :
“ Alex a raison, j’ai plus ma place ici, je suis obsolète. [...] Non mais regarde-les, regarde-moi ![...] Ouais enfin quand t’es beau, jeune avec des abdos partout…”
Cette obsolescence séductive annoncée à ce moment-là est directement reliée à une autre obsolescence : la sportive.
A 22:30, alors que les Crevettes Paillettées sont menées par les Déménageuses dans le match de barrage pour se qualifier aux Gay Games, Joël est qualifié par le coach et l’équipe comme étant une passoire inutile avec qui on compose malgré tout.
A 22:50, dans le deuxième opus, alors que Selim tire dans la tête de Joël pendant un entraînement, les Crevettes Pailletées défendent le doyen de l’équipe en disant “Mais ça va pas? Il est nul le pauvre !”
Tous ces extraits peuvent sembler anodins, mais ils ont pour moi une importance primordiale : l'âgisme. Cette dénomination regroupe toutes les formes de discrimination qui se fondent sur la généralisation ou le mépris des effets du vieillissement.
Or, je pense de plus en plus que le monde gay et celui du sport partagent ce mal. De la même manière que des homosexuels âgés vont vite perdre en pouvoir de séduction, les sportifs et les sportives vont rapidement perdre en valeur. Ainsi, bien que ce phénomène ait ralenti avec les avancées en préparation physique, un sportif est déjà considéré comme un vétéran à 30 ans. Toujours dans ce continuum, les jeunes pépites sont toujours fortement convoitées. C’est sur leurs potentiels que les propriétaires espèrent faire des plus-values.
Bref, j’ai beaucoup aimé ce parallèle entre le monde gay et le monde sportif. On y retrouve une fraîcheur et une valeur fortement corrélées à l’âge. On est très vite jugés comme étant trop vieux. Néanmoins, ma réflexion à ce sujet n’est pas encore aboutie. Elle est à l’état d’embryon mais ces films m’ont donné envie de m’y pencher prochainement.
Une chouette infographie issue du rapport mondial de l’ONU sur l’âgisme.
Stéréotypes de la communauté gay et le parcours de Mathias
Dans les critiques que j’ai pu lire, j’ai constaté que plusieurs personnes regrettaient la sexualisation des personnages homosexuels du film. Ces gens trouvaient que les personnages étaient trop obsédés par les relations sexuelles et par les blagues grivoises.En conséquence, ce trait commun des personnages dépeignait une image stéréotypée des homosexuels.
En y réfléchissant, je me suis aperçu que ça ne m’avait pas dérangé mais que je comprenais la critique. C’est ce qui m’a permis d’ailleurs de comprendre que cet aspect du film avait été en effet délétère, mais pas pour les raisons évoquées plus haut.
Pour moi, les nombreuses scènes de légèreté sexuées sont un problème car elles pompent tout le temps du film aux dépens d’une problématique qui m’intéressait beaucoup : le traitement de l’homophobie de Matthias au contact des Crevettes Pailletées.
En tant que coach hétérosexuel qui n’a jamais eu d’homme homosexuel déclaré dans mon équipe pendant les 12 premières années de mes 15 années de coaching en senior, j’étais profondément intéressé par le traitement de l’homophobie de Mathias au sein de l’équipe. Quelles discussions allaient le faire basculer ? Quels moments de vie?
Matthias devient un allié officiel dans le deuxième opus, à 35:20, où Joël et Fred lui expliquent la signification de LGBTQQIAAP+ et lui accordent au passage le statut d’allié. Pourtant, rien n’a été montré en ce sens. Dans le premier opus, la seule scène illustrant une ouverture d’esprit de Matthias arrive à 45:30. Matthias se morfond de ne pas pouvoir aller aux championnats du monde. C’est alors que Jean, incarné par Alban Lenoir, lui explique les problèmes de vie que rencontrent chacun des membres de l’équipe.
Matthias répondra à cette tirade que bon ça va, il ne comprend pas pourquoi il est écarté de la compétition juste parce qu’on le prend pour un “sale homophobe”. Jean lui répond alors que si l’équipe fait un bon tournoi, la presse parlera en bien de Matthias. J’ai été frappé de ce moment car l’introspection de Matthias n’est pas au centre de cette scène. Encore une fois, on introduit un élément extérieur pour le motiver à côtoyer cette équipe homosexuelle.
Dans le premier opus, la phase de rédemption de Matthias viendra avec la mort de Jean. A son enterrement, le coach enverra chier le président de la fédération de natation qui critiquait le spectacle des Crevettes Pailletées en l’honneur de Jean.
Dans le deuxième opus, de manière très intéressante, Fred dira à Matthias que ce dernier ne reste avec les Crevettes Pailletées depuis deux ans, non pas par amitié, mais par culpabilité de la mort de Jean. Cette scène est malheureusement gâchée par le fait que Fred est à ce moment-là vexée que Matthias ait repoussé son baiser en boîte (47:30). Les propos de Fred venaient-ils d’un besoin de vérité ou d’un besoin de faire mal ?
Encore une fois, nous ne le saurons jamais car la réconciliation aura lieu de manière muette lorsque Matthias sauvera la vie de Fred, coincée sous la glace, en plongeant dans le lac gelé.
En conclusion, je trouve ça fort dommage que l’élément perturbateur du premier film qui sert toute l’intrigue ne soit jamais traitée. Est-ce que des hommes homophobes changent au contact des hommes homosexuels ? Comment cet apprentissage de la tolérance s’opère-t-il? Comment se déroulent les conversations de compréhension du vécu de l’autre?
Cette dernière question me taraude beaucoup. Cette année, j’ai eu le privilège d’accueillir plusieurs joueurs homosexuels qui ont entendu que le club de handball où je coache agit directement pour inclure les hommes homosexuels.
En parallèle, c’est le quatrième tournoi de handball de l’association Outsiders auquel je participe. Pourtant, à chaque fois, je n’y apprends pas autant que je le souhaiterais car j’ai peur de provoquer des discussions avec les personnes qui participent au tournoi. À vrai dire, j’ai même peur de provoquer des discussions avec mes joueurs sur leur homosexualité, leur vécu sportif, comment leur homosexualité a conditionné leur pratique.
J’ai peur de les ramener à leur homosexualité en procédant ainsi. J’ai peur de les tokeniser J’ai peur de les réduire au statut de joueurs homosexuels de Martigua au lieu de les considérer comme des joueurs de Martigua. Je ne veux pas que ces joueurs soient une caution de notre ouverture d’esprit, de mon ouverture d’esprit. Je veux qu’ils se sentent bien, qu’ils s’accomplissent en se sentant progresser, qu’ils se construisent une place dans le collectif en se créant un rôle, au même titre que tous les autres joueurs.
C’est pour toutes ces raisons que je trouve que les films des Crevettes Pailletées ont raté le coche quant à cette problématique.
Racisme, l’homophobie vient d’ailleurs
L’avant-dernière thématique me tient à coeur et m’a sauté aux yeux lors du visionnage du second opus “La revanche des Crevettes Pailletées”. Selon Maxime Govare, le co-réalisateur, le choix de la Russie s’est fait car ce pays représente l’homophobie, a-t-il dit lors d’une interview pour Pathé-France :
“Le premier film, c’est quoi, c’est un homophobe chez les homosexuels, le deuxième, c’est les homosexuels chez les homophobes. Une fois qu’on avait posé cette équation-là, on s’est dit qu’on avait envie de changer un peu de décorum, on s’est dit quel pays incarne l’homophobie ? [...] D’un coup, on s’est tourné vers notre producteur et on lui a dit la Russie !”
Lors du second opus, le traitement de l’homophobie est choisi par les deux scénaristes/réalisateurs, Cédric le Gallo et Maxime Govare. L’homophobie ne sera pas analysée à travers la société française mais à travers des ennemis faciles : les russes.
Ainsi, durant l’épopée des Crevettes Pailletées en Russie, ces dernières sont confrontées clairement à l’homophobie de la société russe : ils sont embusqués et chassés par des homophobes sur Grindr. Dans une boîte de nuit LGBT, Joël est choqué devant la découverte d’un mémorial d’hommes homosexuels assassinés pour leur seule orientation sexuelle. Enfin, plusieurs des héros sont emprisonnés dans un camp de reconversion pour les faire devenir hétérosexuels.
Mais ça n’est pas tout, dans ce film, l’homophobie est incarnée par un autre personnage : Selim, incarné par Bilal El Atreby.
Selim est un nageur de haut niveau qui a été invité dans l’équipe par Matthias. La fille de Matthias, Pauline, a eu une “sensation” sur l’homosexualité de Selim. Matthias a donc eu la très bonne idée d’inviter Selim au sein des Crevettes Pailletées sans prévenir les deux partis. Ceci créé évidemment un bordel homophobe.
Les scénaristes ont donc répété la mécanique du premier film en mettant un homophobe chez les homesexuels. Dès la rencontre avec les Crevettes Pailletées, Selim ne cache pas son homophobie en affichant son mépris pour l’équipe homosexuelle de water-polo. L’affaire prend un tournant franchement raciste dès les premières minutes de Selim à l’écran. Ce dernier mentionne immédiatement qu’il vient du “quartier” et qu’il ne peut donc être vu avec des hommes homosexuels. Il écoute du rap, ne connaît pas la pop et trouve ça inenvisageable d’écouter Céline Dion. Enfin, sa seule expression faciale autorisée est le froncement de sourcils.
Les 50 nuances d’expression faciales permises à Bilal el Atreby, l’acteur qui incarne Selim.
Comme vous l’avez compris, le personnage est un stéréotype sur pattes. Il brutalise Joël en lui envoyant un ballon dans la tête, il dit “Wallah” et répète à plusieurs reprises des formules homophobes :
“Je ne suis pas un pd moi, je ne suis pas comme vous”
“Je ne vais pas aller à votre kermesse de pds”
De plus, quand ils sont envoyés en centre de thérapie de conversion, Selim n’est pas perturbé, il donne des conseils, impliquant qu’il a déjà été en prison (52:50). Le bingo raciste est total. D’ailleurs, à la fin du film, quand Selim s’assumera en chantant avec l’équipe aux Gay Games, un plan suivra de sa famille entre de le regarder à la télévision. Sa mère et sa soeur souriront de bonheur alors que son frère sortira de la cuisine en trombe, furieux. Pendant ce temps, l’ex-femme de Matthias et sa fille sont montrées, souriantes de bonheur, car elles sont blanches et tolérantes.
D’ailleurs, un gros symbole de ce racisme vient d’un dialogue entre Selim et Vincent à 1:25:50. A ce moment du film, les Crevettes Pailletées s’échappent du centre de thérapie de conversion. Ils viennent alors chercher Selim qui est le dernier à sauver. Commence alors le dialogue suivant :
Selim : “Qu’est-ce que tu connais de moi? De ce que je veux vraiment ? Je veux juste être comme tout le monde. J’ai jamais demandé à être différent, à ressentir tous ces trucs. D’où je viens, le seul mec qui l’assume, sa vie, c’est un enfer. Tous les jours, il se fait insulter, cracher dessus, frapper, je veux pas de cette vie”.
Vincent lui répond alors : “Selim, je te jure, pour moi, c’était pareil, mais à un moment, faut trouver le courage d’arrêter de se cacher”
C’est le moment du film qui illustre parfaitement l’homonationalisme, notion pensée pour la première fois par la chercheuse Jaspir Puar. Pour m’aider à l’expliquer, je vais voler la définition de Jins Podcast qui synthétise parfaitement la signification de ce principe :
“En gros, l’homonationalisme, c’est un concept qui décrit la manière avec laquelle les discours nationalistes et d’extrême-droite vont intégrer les droits LGBTQIA+ comme une preuve de modernisme, de libéralisme, de progressisme tout en perpétuant d’autres formes d’exclusion et de marginalisation islamophobes, racistes, xénophobes, etc. C’est une forme de pink washing à l’échelle d’un Etat, d’une ville, d’un gouvernement, qui fait de l’homosexualité un concept très, très occidental et très très blanc et de l’homophobie et de la transphobie, des concepts très orientaux, musulmans, noirs, arabes, etc.”
Ainsi, comme l’expliquent Gianfranco Rebucini, les UNvisibles de StoneWall et Alice Cappelle, l’homonationalisme vient de la normalisation des droits des homosexuels dans les sociétés occidentales. Les générations d’hommes homosexuels étant nés après les luttes farouches d’homosexuels ayant conquis de nombreux droits pendant les dernières décennies se sont dépolitisées. Une fois que le système capitaliste leur a permis d’aimer des hommes, de se marier et d’adopter, ils ont oublié leur histoire.
Dans ce processus, le monde occidental a développé un sentiment d’exceptionnalisme et de paternalisme envers les pays du Sud. Le Nord explique au Sud comment il doit traiter l’homosexualité dans ses sociétés.
La conséquence de ceci est la scène décrite plus haut où Vincent fait une injonction à Selim de faire son coming-out sans employer ce terme. Le monde associatif LGBT est confronté à ce problème où les personnes racisées sont peu représentées et où le coming-out est l’Alpha et l’Oméga. Or, cet outil ne convient pas à tout le monde alors qu’il est souvent présenté comme une évidence incontournable. D’ailleurs, on retiendra que le premier baisé de Selim est un baisé imposé par Vincent sans son consentement pour rendre jaloux Xavier (48:21).
Bref, vous l’avez compris, l’homonationalisme est un instrument utilisé par les mouvements d’extrême-droite pour antagoniser les populations racisées. La stratégie est toujours la même : déclarer les populations racisées comme étant responsables des actes homophobes afin de les marginaliser. Dans le même temps, on fait miroiter aux populations homosexuelles leur intégration sans jamais démonter véritablement les mécaniques de l’homophobie.
En effet, vu que les gouvernements réactionnaires ne s'intéressent aux droits des homosexuels que pour les instrumentaliser, ils ne s’intéressent pas aux causes de l’homophobie. Se faisant, ils en oublient les causes. L’homophobe est l’étranger, le noir, l’arabe et jamais la famille qui rejette la personne homosexuelle ou jamais le sport dans lequel les sportifs de haut niveau ne s’outent que très rarement par peur de représailles. Les Crevettes Pailletées sont d’ailleurs une conséquence de l’homophobie dans le milieu du sport. Les membres rejoignent l’équipe cette équipe, inspirée de l’association Outsiders, afin d’avoir une pratique sportive sans avoir peur d’être discriminés.
En conclusion, le scénario de “La Revanche des Crevettes Pailletées” est profondément raciste et s’inscrit dans la doctrine de l’homonationalisme. Le film peint un monde où les agresseurs homophobes stéréotypés sont russes ou arabe de banlieue. Jamais l’homophobie de la société française n’est explorée car cette dernière est parfaite et n’est là que pour donner des leçons de tolérance aux autres peuples. Comme je l’ai écrit plus haut, l’homophobie de Matthias n’est jamais traitée. Il se métamorphose en allié par magie. Aucune mécanique de l’homophobie n’est observée et déconstruite chez le coach.
Ce racisme a été permis par la dépolitisation de l’orientation sexuelle de l’homme homosexuel. Ce phénomène est illustré dans le film par le personnage de Joël que nous allons étudier dans la dernière partie.
Le militant homosexuel de gauche contre les gays libéraux
Les deux opus introduisent la politisation de l’homme homosexuel principalement à travers deux aspects :
le couple composé de Bertrand et Cédric.
La figure de Joël sur qui nous reviendrons ensuite.
Les premiers personnages qui apportent une politisation au film sont Cédric et Bertrand qui sont en couple et papas de deux jumeaux. Cédric est un membre des Crevettes Pailletées qu’il considère comme sa famille et qui rencontre des difficultés à gérer son emploi du temps, déchiré entre plusieurs mondes. Bertrand est son conjoint et rêve d’une vie normale.
Dans le second opus, alors que les Crevettes Pailletées sont prisonnières en Russie, et que Cédric et Bertrand ont rencontré l’ambassadeur russe, une dispute éclate entre les deux personnages qui illustre parfaitement un point crucial :
Bertrand : “Contrairement à tes crétins de copains, on peut très bien s’amuser sans être un cliché ambulant qui fout son homosexualité dans la gueule des gens !”
Cédric : “Qu’est-ce que t’as dit là?”
Bertrand : “J’en peux plus de cette obsession de crier sa différence alors que tout ce qu’on veut, c’est être comme tout le monde. Alors si tu veux tout savoir, oui, ça me fait chier qu’ils fassent ça en mon nom.”
Cédric : “Si toi là, aujourd’hui, Bertrand Duverney, avec ton petit costume, t’as un poste à responsabilités, si on a pu avoir des enfants, si on a pu se marier, c’est grâce à des gens comme eux, qui combattent depuis des années l’homophobie à grands coups de talons aiguilles et de Gay Prides ! Parce que t’as toujours pas compris que c’était la seule façon de se faire voir pour peut-être avoir une chance de se faire entendre !”
Ainsi, comme vous l’avez constaté, cette conversation est l’incarnation de la frontière entre l’homme homosexuel qui politise son identité et celui qui veut juste vivre comme les autres blancs de sa classe sociale.
Si le film avait plus insisté sur ce point, j’aurais pu laisser le bénéfice du doute quant à la volonté politique des réalisateurs. Malheureusement, le traitement de Joël ne laisse aucun doute quant aux pensées politiques de Maxime Govare et Cédric le Gallo.
Joël est un ancien militant de chez Act Up qui se revendique comme étant de gauche. Comme je l’ai écrit dans la première partie sur l’âgisme, Joël est régulièrement décrédibilisé par rapport à son âge ou ses performances sportives.
Pour moi, ces décrédibilisations ne sont pas anodines. Elles permettent d’introduire l’idée que le militantisme est un acte dépassé, ringard et inutile. Que voter à gauche n’est pas nécessaire pour sauvegarder ses droits d’homme homosexuel. Ainsi, Joël a son utilité dans le groupe, pour rappeler des règles et notamment pour rappeler la réalité de l’histoire homosexuelle, à un moment où le bus des Crevettes Pailletées passe à côté de Dachau. Mais dans l’ensemble, il est tourné en ridicule. Notamment dans le second opus où le développement de son personnage tournera simplement autour de sa culpabilité d’être en couple avec un homme très riche.
C’est pour moi complètement voulu par les réalisateurs. D’ailleurs, à l’occasion d’une interview donnée à Madmoizelle pour le premier opus, Maxime Govare clame que la comédie n’est pas militante. Pourtant, l’histoire narre le récit d’un nageur hétérosexuel homophobe qui est obligé de coacher une équipe sportive homosexuelle. L’histoire est militante par essence quand on regarde deux secondes comment le sport promeut une masculinité hégémonique qui rejette les hommes homosexuels. Bref, les réalisateurs nient l’aspect politique de leur histoire car elle se passe en France. Pourtant, à l’instant où l’histoire va se passer en Russie, Maxime Govare est très fier de clamer que le second opus traite de l’homophobie et de sujets très sérieux, bref que cette fois-ci, son film est politique.
Je trouve que les réalisateurs ont fait une erreur majeure en voulant tourner la gauche en ridicule ainsi que ses militants homosexuels. Je trouve ça même irrespectueux. Mon apprentissage du monde homosexuel a été grandement enrichi par la série de podcasts “Pédés: réinventer le monde”, créée par Camille Desombre. Pendant 4 heures, l’auteur nous dessine une superbe fresque de l’histoire de la lutte homosexuelle en France. Pour cela, il va à la rencontre d’une myriade de militants homosexuels, notamment d’une époque plus lointaine. Ainsi, on y apprend que dans les années 60-70, les militants homosexuels provenaient en grande majorité de mouvements et d’idéologies d’extrême-gauche.
Quand j’ai écouté l’histoire de tous ces hommes, j’ai fait immédiatement le lien avec mes joueurs de l’association Outsiders. Quand on compare l’organisation d’Outsiders et l’organisation de Martigua, c’est le jour et la nuit. Ils sont beaucoup plus organisés que nous le sommes. Je suis persuadé qu’une histoire les traverse. Une histoire que nous avons perdue à de multiples égards. Écouter des militants vétérans comme Alain Lecoultre, Didier Lestrade ou Michel Chomarat me fait croire que, grâce à eux, une manière de lutter a été inventée. Cette manière s’est transmise au sein des associations homosexuelles qui ont gardé les bonnes pratiques.
C’est pour toutes ces raisons que je trouve la lutte homosexuelle très inspirante et que je la porte en haute estime. C’est aussi pourquoi je reste très attentif aux dérives qu’elle pourrait connaître.
Alain Lecoultre
Didier Lestrade
Michel Chomarat
Camille Desombre
Conclusion
Conclure cet article n’est pas aisé vu comment je me suis éparpillé sur divers sujets. Tout d’abord, je me demande aujourd’hui si la masculinité hégémonique n’est pas en train de muter. Va-t-elle exclure l’homophobie des discriminations qu’elle exerce afin de se concentrer sur le racisme et la transphobie? C’est ce que ces deux films me laissent penser. Je pense que le sport a encore beaucoup de chemin à faire pour ne plus être homophobe mais les premiers indices sont déjà là.
Chaque année, la fédération française de football fait des campagnes de sensibilisation à l’homophobie qui vont purement dans ce sens : blâmer le noir et l’arabe d’être homophobes sans chercher à comprendre les causes structurelles de l’homophobie dans le sport. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir visionné ces deux films. Ils m’ont permis de comprendre que la fédération de football utilise exactement la même stratégie qu’empruntent les partis d’extrême droite à travers l’Europe : l’homonationalisme. Cette stratégie va s’appuyer sur 3 facteurs pour séduire l’homme homosexuel :
Tout d’abord, on va augmenter son sentiment de sécurité en désignant l’homme racisé ou l’étranger comme étant l’agresseur avant de proposer des lois xénophobes et islamophobes ayant pour but d’augmenter la sécurité.
Deuxièmement, en étant fortement sexistes, les partis d’extrême-droite vont développer une forte homosocialité qui peut plaire à certains homosexuels.
Enfin, des groupes d’extrême-droite peuvent créer une image homo-érotique qui peut séduire une partie de la population homosexuelle.
Or, le sport peut offrir tous ces facteurs : il offre un sentiment de sécurité car lorsque l’on est membre d’une équipe, on appartient à un collectif, doté d’un logo, d’un maillot, d’une histoire commune. Il offre une homosocialité étant donné que le sport est non-mixte et que les stades abritent 90% d’hommes parmi les supporters. Enfin, le sport offre un homo-érotisme hors du commun. Que penser de milliers d’hommes, torse nus, gonflant leurs muscles en se collant les uns et les autres ? C’est le spectacle que nous offrent tous les week-end les supporters de foot dans les stades en scandant des chants homophobes.
C’est d’ailleurs, je pense, l’un des derniers obstacles à l’intégration du sport par l’homo-nationalisme. Tôt ou tard, le Rassemblement National va vouloir s’emparer du sport comme objet de bataille culturelle. A ce moment-là, ils devront se positionner sur les chants homophobes dans les stades de foot pour convaincre les hommes homosexuels de les rejoindre. Ils ne pourront plus se contenter d’assimiler ces chants à “une pratique de la culture populaire”.
C’est pourquoi les deux films des Crevettes Pailletées sont un problème. En ridiculisant la gauche comme étant ringarde. En refusant de traiter l’homophobie dans la société française mais en la traitant au contraire au travers le prisme de l’homme arabe et de la Russie, les réalisateurs ont nourri la doctrine de l’homonationalisme. Si ces films étaient sortis il y a 20 ans, ils auraient été révolutionnaires. Aujourd’hui, ils ne sont qu’un passe-plat pour cette thèse d’extrême-droite.
Soyez prêts, l’homonationalisme va emprunter le sport comme couloir de bataille. Il va arriver plus fort et plus vite que nous le pensons. Les camarades homosexuels du camp de la gauche auront alors un rôle énorme à jouer pour contrer cette offensive qui sera dévastatrice.
Sources :
Instagram de Martigua : https://www.instagram.com/martiguahandball/
Instagram d’Outsiders Paris : https://www.instagram.com/outsiders75asso/
Must Watch LGBT Sport Films : https://www.prideinsport.com.au/lgbtq-sport-films/
Rapport mondial sur l'âgisme : https://www.who.int/fr/teams/social-determinants-of-health/demographic-change-and-healthy-ageing/combatting-ageism/global-report-on-ageism
L’interview - l’équipe de “La revanche des Crevettes Pailletées” : https://www.youtube.com/watch?v=h68VRlRAncw&t=839s
Homosexualité au Maghreb, Homonationalisme, luttes Queers…et Gramsci ! Avec Gianfranco Rebucini : https://youtu.be/nTKC0Hw-UAg?si=XscaXncEk_6igqdd
Les UNvisibles de Stonewall : https://www.youtube.com/@lesunvisiblesdestonewall2650/videos
Is the far-right gay-friendly now ? : https://www.youtube.com/@lesunvisiblesdestonewall2650/videos
Masculinité, amitié, nudité. L’équipe des Crevettes Pailletées en interview : https://www.youtube.com/watch?v=RUAk2pjUvn4
Pédés : réinventer le monde : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-pedes-reinventer-le-monde
Twitter de Camille Desombre : https://x.com/desombrecamille
Supporters de foot, au stade de la violence : https://youtu.be/dyVcxIHU6Mk?si=bdqoxCmEWe7XEzjU