Les Jeux Olympiques : au-delà du kiff
Ecrit par Alexandre Jaafari et corrigé par Camille Brossard. Photo d'illustration : "Les lutteurs" de Camille Bombois
Les Jeux Olympiques sont un moment très particulier pour moi. J’ai un goût amer qui monte depuis quelques années car j’ai vu les Jeux Olympiques arriver comme une lame de fond inévitable. Je me suis formé à leur sujet en lisant et en écrivant. J’ai alors compris le danger que les Jeux représentent pour un pays et pour la vision du sport.
Ce danger s’est matérialisé par des actions répressives concrètes de la part du gouvernement. Puis, des premières réactions pro-Jeux Olympiques dans mon entourage ont transformé mon amertume en agacement avant que le tweet de Cédric Herrou ne déboule comme une bombe en ce lundi 29 juillet.
Ce tweet et les réactions qui ont suivi m’ont donné envie d’écrire cet article.
Dans un élan trollesque digne des forums des années 2000, Cédric Herrou est parti à la pêche au gros et ça a très bien marché. Beaucoup de gens se sont offusqués de la colère du militant. Selon eux, la culpabilisation ne sert à rien car il faut laisser les gens apprécier les Jeux Olympiques. C’est là que le problème naît pour moi. Cet élément de langage a été répété, au même titre, par exemple, que celui des JO auto-financés à 96% qui est un mensonge éhonté.
Ce refus de “culpabilisation” est avant tout un refus d’entendre les personnes en colère pendant ces Jeux Olympiques. Seules les ondes positives sont acceptées car nous sommes dans un moment de liesse nationale. L’injonction à la fête, poussée par les bourgeois, a fini par payer. Dans les débats et dans la presse, les éléments de langage se répètent en boucle, qualifiant les sceptiques des JO de peine-à-jouir, de pisse-froid ou encore de grincheux. Et c’est cette petite chanson-là qui l’emporte malgré une médiocrité rhétorique affligeante. Depuis quand peut-on gagner une bataille culturelle en se contentant d’insulter son adversaire ?
Ceci est permis par plusieurs mécaniques que je vais vous détailler ici.
1. Le rythme
Nous vivons une séquence parfaite pour le gouvernement macroniste. Nous sortons d’une élection européenne, qui a été suivie d’une dissolution, qui a débouché sur une élection législative. Après un mandat et demi de macronisme, le peuple est à genoux et aspire à la moindre goulée euphorisante qu’on peut lui donner : le sport-spectacle est l’opium parfait pour remplir cette tâche.
Les JO sont la drogue la plus pure que le sport-spectacle peut produire.
Depuis un an et demi, les spectateurs achètent des places par packs, dans un système de tirage au sort inique, qui instille un sentiment d’urgence chez l’acheteur. Ceci a eu pour résultat une consommation aveugle et frénétique. Les acheteurs se rêvaient scalpeur et se sont finalement retrouvés avec des billets sur les bras, symboles de leur avidité.
Orge en Summérien.
Malgré cela, pendant deux semaines, les français et les françaises vont bondir pour des champions et des championnes dont ils auront oublié les noms dans un mois. La médaille est importante, on ne sait pas pourquoi mais elle l’est. Pourquoi être si content que l’équipe de France de tir à l’arc gagne une médaille d’argent et ne pas ressentir une once d’émotion pour la première médaille d’or olympique de l’histoire du Guatémala ? Le patriotisme aveugle atteint vite ses limites.
Mais dans l’ère anxiogène traversée par la France, chaque médaille française arrivera à point nommé, comme enfin une raison nationale de se réjouir.
2. Le pouvoir du sport-spectacle
Le sport-spectacle anesthésie. Il nous dit quoi regarder, quand le regarder, quand nous devons sauter de joie ou nous affaler de chagrin.
Ceci se base sur un fait très simple : nous ne sommes pas éduqués à regarder du sport. Une majorité de gens qui regardent du sport n’ont pas été éduqués sur la technique et sur la tactique utilisée dans cette activité. Étant donné qu’ils ne sont pas armés pour décoder le spectacle auquel ils assistent, ils ne peuvent que s’immerger dans la foule et imiter les réactions émotionnelles de leurs congénères
Cette imitation se fait grâce à une connexion collective extrêmement puissante, qui :
- nous incite à se conformer aux actions d’un groupe.
- Crée une désinhibition permise par l’effervescence collective.
- Renforce l’idée identité de groupe.
C’est cette ébullition collective qui donne un sentiment de puissance d’ivresse à ceux et celles qui l’expérimentent. Mais dans un même temps, cela instille la peur de l’arrêt de cette euphorie. C’est pourquoi l’injonction à la fête est tant respectée et que les fauteurs de trouble comme Cédric Herrou sont rabroués.
Pourtant, les convaincus de la fête n’ont rien à craindre : la cérémonie a battu tous les records en chiffres d’audience, les épreuves sportives suivent le même chemin, aucune personne médiatique ou politique majeure ne se risque à critiquer les Jeux Olympiques.
Pourtant, il y aurait de quoi.
3. La trêve olympique : une fumisterie colossale
Cette émotion collective qui envahit actuellement le pays ne se fait qu’au prix d’une liste d’horreurs longue comme le bras. En voici quelques exemples :
- Des ouvriers sont morts sur les chantiers. Quand le COJOP et Solideo se sont réunis pour faire le bilan, ils étaient tous fiers de dire qu'il n'y avait pas eu de morts sur leurs chantiers mais seulement sur les chantiers périphériques. Amélie Beaucour a écrit un superbe article à ce sujet.
- Les SDF ont été massivement harcelés par la police pour faire de Paris une ville qui n'offre pas de spectacle de pauvreté.
- Les étudiants ont été dégagés de leurs logements afin notamment d’y héberger la Police. Quand les policiers ont exprimé leur désarroi face aux cafards et crottes de souris, on leur a trouvé une solution de repli en 24h.
- Paris 2024 est sous le feu d'une enquête de la brigade financière.
- De nombreux locataires ont été virés de chez eux. Dans la même veine, des hôtels sociaux ont étrangement fermé de façon concomitante.
- La vidéo de surveillance automatisée bat son plein pendant les JO.
Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps car j’ai beaucoup travaillé au répertoriage de la nuisance que représentent les Jeux Olympiques. Mais ça serait inutile. Peu importe le sang que peut verser le Comité International Olympique (CIO) et à quel point on le montrerait, les enthousiastes des JO resteront accrochés à leur sentiment de bien-être collectif.
Peu leur importe que le CIO soit une entreprise privée, exonérée d’impôts, qui n’a aucune obligation de publier ses comptes et qui n’est pas responsable des dettes qu’elle occasionne.
Peu leur importe qu’Israël ait bombardé Beyrouth le 30 juillet, brisant la fameuse trêve olympique exigée des opposants aux Jeux Olympiques.
A leurs yeux, ressasser leurs souvenirs nostalgiques d’enfance où ils regardaient les Jeux Olympiques toute la journée en enchaînant les bols de Rice Krispies est plus important que ces frivolités.
4. Responsabilisons-nous
Pour changer ce rapport délétère aux Jeux Olympiques, il va falloir que plusieurs acteurs du monde du sport se regardent dans la glace et changent des choses.
Les membres d’associations sportives et les bénévoles
Il n’est pas acceptable que des membres d’associations sportives, qui survivent toute l’année en s’appuyant sur le bénévolat et en évoluant dans des conditions misérables soutiennent activement les Jeux Olympiques.
Il n’est pas acceptable que des bénévoles aient offert gratuitement leur force de travail à une entreprise cynique qui instrumentalise le sport qu’ils aiment tant.
Il n’est pas acceptable que des bénévoles aient rompu avec toute dignité d’eux-mêmes en payant leurs logements, leurs tickets de transports et leur nourriture pour gagner le droit de travailler pour les Jeux Olympiques.
Il n’est enfin pas acceptable que des membres d’associations sportives aient payé des centaines voire des milliers d’euros pour des spectacles sportifs dans une frénésie consumériste.
Les sportifs et sportives
Les athlètes de haut niveau sont dans mon viseur depuis un bout de temps et je refuserai de les considérer comme des alliés tant qu’ils et elles n’opèreront pas un virage majeur.
Je n’en peux plus de constater ce refus systématique de s’engager sur des questions simples. Le second tour des élections pour faire barrage au RN fut une occasion claire et encore, il s’ est parfois accompagné d’une quasi mise dos-à-dos de LFI et du RN.
Je n’en peux plus de les voir incapables de tirer une leçon des discriminations pourtant vécues régulièrement par une majorité des athlètes (1, 2, 3). Ils me hérissent le poil à voir toujours ces histoires comme des cas particuliers et non pas comme les conséquences d’un système qui se veut discriminant car basé sur une masculinité hégémonique.
Je n’en peux plus de les voir défendre le mérite, le “mental”, la tolérance à la douleur et le sens du sacrifice alors qu’ils ne restent que des corps sportifs exploités, des “Forty Million Dollar Slaves”. Je ne veux plus les voir sans cesse, je ne veux plus les entendre prétendre “être le sport” alors qu’ils ne sont à peine que quelques milliers.
Les journalistes sportifs
Beaucoup de journalistes sont actuellement dans un état hystérique permanent. Ils et elles n’ont rien à produire intellectuellement et sont en permanence au centre de l’attention. Cet apolitisme convient très à certains et certaines journalistes.
Ils ont juste à s’extasier comme des gosses dans des papiers assez pathétiques qui font la part belle à la trêve olympique et au vivre ensemble, même avec les flics. Ces derniers ont pourtant encore abattu un homme d’une balle dans la tête il y a quelques jours.
Mais grâce à l’effervescence collective, ça marche. Les journalistes disent que tout est beau, tout est joli et ça marche. Ils se contentent de rapporter les résultats, comme des bons petits scribes, et ça marche.
Trop de journalistes sportifs se complaisent dans une légèreté à beaucoup trop d’égards. Trop peu d’entre eux font du boulot sérieux. Pourtant, il y a de quoi faire. Le sport est un domaine incroyablement riche de processus sociaux. Et même en étant allergique à la sociologie, on peut se concentrer sur la technique et la tactique pour éduquer les masses et leur apprendre à regarder le sport.
Les journalistes pourraient être les vulgarisateurs sacrés qui permettraient au peuple de comprendre ce qu’il regarde quand il assiste à un spectacle sportif. Au lieu de cela, ils ont décidé de pisser du papier sans âme.
Je rêve d’un journalisme qui interviewerait chaque semaine un chercheur du sport différent. Je rêve d’un journalisme qui nous éclairerait sur l’histoire du sport. Je rêve d’un journalisme qui nous enrichirait trois fois par semaine d’un papier tactique ou technique sur des sports différents.
Les personnes politiques
Emmanuel Macron, Amélie Oudéa-Castéra et Gabriel Attal sont aux anges actuellement. Ils profitent des Jeux Olympiques pour poser à côté de chaque médaillé, trop heureux d’accaparer un peu cette minute de gloire. Pendant ce temps-là, on s’aperçoit que le gouvernement démissionnaire mais qui ne démissionne pas vraiment ne se contente pas d’expédier seulement les affaires courantes.
A gauche, les personnalités politiques sont non seulement épuisées des élections qu’ils viennent de vivre, ne peuvent stratégiquement pas taper sur les JO et ne seraient pas en capacité de le faire s’ils le souhaitaient car ils n’ont jamais sérieusement envisagé le sport comme un objet politique digne de ce nom.
Pendant ce temps, les pouvoirs en place continuent d’instrumentaliser la lutte contre l’homophobie et le sexisme dans le sport en faisant de jolis espaces et de jolis photos qui ne permettront pas de sauter bien loin dans la réduction de ces discriminations.
5. Mon espoir
Je serais un bien mauvais coach si je me contentais de passer tout au lance-flamme sans ouvertures sur un lendemain plus radieux.
Pour commencer, je m’appuierai sur un baromètre de Ouest-France datant de mars 2024 qui avait publié des résultats très encourageants. Il avait montré que les gens désiraient plus d’intelligence dans la production de contenus médiatiques dans le sport. 35% des gens interrogés réclamaient des analyses et des expertises sportives tandis que 29% demandaient des investigations sur le monde du sport liées au racisme ou au sexisme par exemple. Je trouve que ces chiffres sont INCROYABLES au regard de l’entreprise de dépolitisation du sport opérée par la bourgeoisie. De plus, je suis certain que beaucoup de gens verront que ces contenus leur plairont lorsqu’ils les auront sous la main.
Ensuite, je suis optimiste par rapport à une partie de la classe journalistique qui a montré qu’elle était capable de produire du contenu d’un niveau intellectuel très poussé à l’approche des Jeux Olympiques.
J’en veux pour exemple :
- Le superbe papier d’Antton Rouget sur le CIO.
- L’article très sourcé de Marion Dupont sur la domination masculine dans le sport
- Le documentaire acclamé d’Arte sur les champions et comment ils sont brutalisés par le système du haut niveau.
Par contre, je leur reproche d’avoir attendu les JO pour faire ces productions et de ne pas s’y être mis bien avant. Avec une presse plus attentive au sport, nul doute que la population serait plus éveillée aux souffrances qu’occasionnent les Jeux Olympiques et le CIO.
Enfin, la France Insoumise a lancé une commission d’enquête populaire sur les JO 2024 dont la coordinatrice est Aurélie Trouvé. Ca me réchauffe le coeur de voir que le groupe politique dont je suis le plus proche idéologiquement fait un beau pas vers l’intellectualisation de la question sportive.
Kiffez vos Jeux Olympiques mais pensez au-delà de ce shot primaire d’exaltation. Le sport peut vous servir à vivre des émotions mais il peut aussi vous apprendre beaucoup. Profitez-en pour monter votre exigence quant à la manière dont le sport est traité. Alors nous en sortirons collectivement grandis.